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FRANÇAIS
  • Le Nougat ou Touron
    où et quand

    Crémone, le 25 octobre 1441

    Bianca Maria Visconti épouse Francesco Sforza. Les noces, qui assurent à la famille une domination de plus d’un demi-siècle sur le duché de Milan, sont intimement liées à la naissance du nougat (ou touron). Le premier exemplaire de cette confiserie, créé pour le banquet nuptial, aurait eu la forme du Torrazzo, le clocher de la cathédrale de Crémone. Étymologiquement parlant, de Torrazzo à «torrone» (nougat), il n’y a qu’un pas.

    Si l’histoire est captivante

    elle est trop belle pour être vraie: il semblerait que le nougat ait fait sa première apparition dans une monographie légèrement subjective et un peu trop récente, éditée par la Chambre de commerce de Crémone en 1914, comme l’affirme Carla Bertinelli Spotti à la page 22 du livre “Il Torrone di Cremona” (Cremonabooks, 2002), publication de Crémone, elle aussi, mais bien plus sérieuse et mieux documentée. C’est un fait avéré que la relation entre Crémone et le nougat remonte bien plus loin dans l’histoire: certaines lettres conservées dans les archives de la ville témoignent de sa présence dans certains ateliers d’épices et d’aromates dès le seizième siècle. Et auparavant?

    Si nous étendons notre recherche

    nous découvrons que le nougat est considéré comme un produit traditionnel dans d’autres régions d’Italie. La ville qui revendique le témoignage le plus ancien est Benevento, chef-lieu de l’antique Sannio. Selon une autre tradition de Campanie, des récits d’auteurs du Ier siècle ap. J.C., comme Tite-Live et Martial, attesteraient de son existence dans la région sous le nom “cupedia”. En réalité, il s’avère que l’historien et l’épigrammatiste n’ont jamais prononcé ces mots. Il existe cependant un vocable latin fort semblable, utilisé par Cicéron dans les Tuscolanes, par Aulu-Gelle dans les Livres VI et VII des Nuits attiques et par Plaute dans Stichus: le mot cuppedia, qui se traduit à la fois par gourmandise, (le vice du gourmand), et par met exquis. Dans plusieurs dialectes italiens, on découvre des termes semblables: “cupeta”, “copeta”, “copata” et “coppetta”, qui qualifient des spécialités ressemblant au nougat ou au croquant, produit à base d’amandes ou de noisettes liés uniquement par du sucre caramélisé. Les variantes de la “cupeta” et du nougat sont, en effet, traditionnelles de la Basse Lombardie et du Sannio, de la Valtellina, du Piémont, de la Vénétie, de l’Émilie-Romagne, de la Toscane, des Marches, du Latium, des Abruzzes, des Molise, de Calabre, des Pouilles et de Sardaigne. Sans parler de la Sicile, où le croquant porte le nom de “cubbaita”.

    Ce mot, “cubbaita”

    nous donne précisément une clé de lecture du produit moins liée au Centre de l’Italie et plus objective, parce que le nougat, en l’occurrence les «semi-grillés – amandes, noisettes, pistaches, pignons… – liés par une pâte sucrée à base de miel, de blanc d’œuf, de sucre, avec un ajout d’arômes ou non», est bien loin d’être un produit strictement italien. Le vocable sicilien proviendrait d’un terme arabe, ce qui sous-entend une origine moyenne-orientale du produit. Si des doutes subsistent quant à sa provenance moyenne-orientale, nous le retrouvons pourtant au nord de la Méditerranée, en France sous le nom de “touron” ou “nougat”, du bas latin “nucatum”: avant l’introduction de la culture des amandes en Provence au XVIIe siècle, on utilisait des noix pour le préparer. En Espagne, où il est documenté dans des écrits du XVe siècle, il prend le nom de “turrón” un étymon fort similaire à l’italien, dont l’origine la plus vraisemblable est celle du verbe latin “torrere”, griller.

    La référence au concept plus ample de «graines liées par une pâte sucrée»

    nous permet de faire une découverte encore plus inattendue: le nougat appartient, en réalité, à une vaste famille de produits emballés sur un territoire s’étendant des pays slaves au Moyen-Orient et à l’Inde, sous le nom presque omniprésent de “halva”. Il s’agit probablement des confiseries les plus anciennes au monde. C’est la raison pour laquelle elles sont les plus authentiques et les plus proches des origines de notre goût. Ces origines mériteraient d’être redécouvertes et réévaluées.

    Les formats du nougat

    Par nature, le nougat est un produit malléable et souple. Il peut prendre n’importe quelle forme. Il n’est pas étonnant, par conséquent, qu’il se présente sous différents formats. Il n’en va pas de même pour sa dureté. Friable, le nougat est donc dur, par excellence Sa rigidité peut être affrontée de deux façons: en le mordant à belles dents, si ces dernières se prêtent à la tâche, ou en le cassant en morceaux et en les suçant comme un caramel, mode de dégustation idéal. Puisque la patience pour ce genre de plaisirs ne fait désormais plus partie de notre culture depuis des décennies (les caramels eux-mêmes appartiennent à un genre de produits plutôt désuet), un pâtissier doué du sens du marketing, a inventé le nougat tendre, c’est-à-dire une variante avec une plus grande teneur en eau. Tous les formats se multiplient donc par deux puisqu’il est disponible en versions dure ou tendre.

    La barre

    Il s’agit du format classique, par excellence. La barre est produite à partir d’une pâte aplatie à la main, protégée ensuite entre deux feuilles d’hostie et divisée en portions par des coupes parallèles. Elle peut avoir plusieurs dimensions différentes. Grand classique de Noël, il arrive sur nos tables après des repas pantagruéliques. Par tradition, c’est au père de famille qu’incombe la tâche de le diviser en petits dés pour en offrir à tous les convives.

    Le bloc

    Il s’impose pendant les foires, probablement par son aspect spectaculaire. Dans un tel contexte, il est pratique puisqu’il permet de le vendre en morceaux. Tout comme le parmesan.

    La nougatine

    Formule plus récente, dont les origines pourraient être siciliennes. Le but consiste à affiner un produit populaire selon la conviction fréquente qui dit que « plus il est petit, plus il aura de succès ». En réalité les petits formats, en version tendre et enrobée de chocolat, éventuellement assortie de plusieurs saveurs, exercent un effet de marché non négligeable: l’un en entraîne un autre. Comme les cerises!